Introduction : Être Cadjin, Cajun ou Cadien ?
Par Bianca Cadieux |
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L'École Gombo |
L’analyse
suivante présentera quelques moyens qu’ont utilisés Kirby Jambon et Jean
Arceneaux pour affirmer leur identité cadienne dans leur recueil. L’usage et
l’attachement de la langue française, leur humour ironique, leur point de vue
religieux seront étudiés, ainsi que le thème de l’exil et l’utilisation de
pseudonymes.
Historique : Mémoire cadienne
À partir de
1755, les Anglais ordonnent aux Acadiens de prêter allégeance à la reine
d’Angleterre au risque de se voir expulser de leurs terres. Quelques-uns
prêtent allégeance aux Anglais, plusieurs s’exilent en France, la mère patrie,
mais des milliers d’Acadiens ont été déracinés de leur terre de force et ont été
dispersés sur les côtes de l’Atlantique, dont en Louisiane. Passant ainsi de
colonie française à espagnole, redevenant brièvement française, la Louisiane
est finalement vendue aux États-Unis en 1802. À partir de 1812, elle fait
partie intégrante de l’Union[5].
Cependant, les habitants de la Louisiane sont encore méprisés, car ils
utilisent encore la langue française. Donc, en 1916, une loi interdisant
l’enseignement et la pratique de du français en Louisiane passe et fait plier
les Acadiens sur eux-mêmes, appelés Cajuns, sur eux-mêmes. Après 52 ans, une
nouvelle loi est votée et rétablit la langue française comme deuxième langue
officielle de la Louisiane[6].
Les Cadiens ont vécu le déracinement, la perte, l’isolement et la peur, mais
ils ont réussi à garder la tête haute et à vaincre les atrocités faites à leur
endroit : « [Ils sont] de cette race qui ne sait pas mourir.»[7]
L’usage de la langue française : «Assis-toé…on va
parler !»
La Louisiane a
vécu ce qu’on peut appeler une louisianisation,
ce qui «désign[e] le processus d’assimilation linguistique et culturelle d’un
peuple.»[8]
L’évolution démographique retentissante des États-Unis a bousculé les
Franco-Louisianais et ils sont devenus une minorité dans leur propre pays par
leur culture et leur langue française. Par contre, de plus en plus de Cadiens
pensent et veulent sauver cet héritage linguistique, car il fait partie
intégrante de leur identité. Ayant une tradition orale forte, les auteurs
franco-louisianais ont décidé de s’affirmer en tant qu’individus français et
ont décidé de traduire cette affirmation identitaire linguistique en poésie.[9]
Ainsi, Kirby
Jambon, qui a grandement été inspiré linguistiquement par sa famille et qui est
professeur en immersion de la langue française, utilise cette langue dans son
recueil de poèmes L’École Gombo pour
expliquer l’importance de celle-ci dans l’identité du peuple cadien. Par
exemple, le poème «La vie comme la grègue et le double-solitaire» personnifie
la langue française et le lien qu’elle a avec l’auteur :
[…]
L’âge d’or.
L’âge de douleur.
On dort.
On espère.
On a du mal.
L’âge de honte.
L’âge de foi.
On souhaite.
On espère.
On fait une prière.
[…]
Comment est-ce qu’on peut s’ennuyer de quelqu’un qui est
toujours avec nous ?
[…]
Pour asteur, j’espère, j’ai espoir,
on espère, elle et moi, ensemble,
mais souvent seul.[10]
Le lien
amoureux qu’il y a entre le narrateur et la langue française souligne
l’importance de celle-ci dans sa vie, mais aussi l’espoir qu’après tant
d’années elle reprendra sa place légitime au sein du peuple cadien. D’ailleurs
l’anaphore (le pronom on répété six
fois en début de vers) illustre l’importance du rôle de la société dans le
retour et la préservation de la langue française. De plus, l’utilisation du on répétitif rassemble le peuple et
persuade le lecteur du sentiment d’unité identitaire qu’il y a chez les
Cadiens.
Dans le même
ordre d’idées, l’une des façons pour rétablir et préserver la langue française
dans l’identité cadienne est l’enseignement de cette langue dans les écoles.
Kirby Jambon fait souvent référence à cet aspect dans ses poèmes, dont «Allons
z’enfants», dont le titre fait très probablement référence à l’hymne national
français qui commence par « Allons enfants de la patrie », qui prouve une fois
de plus, le fort attachement des Cadiens à leur langue française et à leur
passé, puisqu’ils ont été, par deux fois, sous gouvernance française :
[…]
Les verbes :
Je peux parler français à l’école.
Je veux parler français à l’école.
J’aime parler français à l’école.
Conjugaison du verbe aller :
Je vas parler français à l’école.
Tu vas parler français à l’école.
I va, a va parler français à l’école.
Nous autres, on va parler français à l’école.
Vous autres va parler français à l’école.
Eusses va parler français à l’école.
Ça, ça va, parler français à l’école.
Est-ce que ça rentre dans ta tête dure ! [11]
[…]
Faisant
référence à la loi de 1916, soit à l’interdiction d’enseigner le français,
Kirby Jambon rappelle au lecteur que les enfants ne pouvaient même pas parler
le français lors des récréations. S’ils le faisaient, ils allaient au tableau
et retranscrivaient jusqu’à ce que «ça rentre dans [leur] tête dure»[12]
cette célèbre phrase : « I will not speak french on school grounds.»
Jambon joue avec le lien ironique qu’il y a entre cette fameuse phrase et le
fait qu’il l’a traduite en français et a enlevé la négation. Il souligne le
rôle important de l’éducation dans la disparition ou l’apprentissage d’une
langue. Bien que la génération perdue ne parle presque plus le français, la
nouvelle génération par contre se sent interpelée par ce manque linguistique
dans leur identité cadienne. Donc cette ironie illustre la continuité et la
persévérance de la langue française dans la culture cadienne d’aujourd’hui. De
plus, l’utilisation du présent dans les trois premiers vers marque un fait en
cours, soit le retour de la langue française dans les écoles. Puis, la
conjugaison cadienne du futur proche permet d’espérer en la persistance de la
langue française et exprime un fait futur probable, dont le retour définitif,
dans la communauté cadienne, de leur langue maternelle.
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La suite du loup |
[…]
Why not just go ahead and learn English.
Don’t fight it, it’s much easier anyway.
[…]
On
a pas réellement besoin de parler français quand même.
C’est
les États-Unis ici,
Land
of the free.
On
restera toujours rien que des poor coonasses.[15]
En utilisant l’anglais et en décrivant
l’importance de cette langue en
Louisiane, Arceneaux choque le lecteur. Tout au long de ses poèmes, il explique
comment la langue française est significative dans l’identité des Cadiens et à
la toute fin de son recueil, il change de point de vue. En faisant ainsi réagir
le lecteur, il illustre les réelles pensées des Cadiens et souligne la
controverse mêlée à leur identité linguistique. De plus, dans le poème « Au
bout du tunnel », Arceneaux utilise une métaphore juste de la langue française
chez les Cadiens d’aujourd’hui : « C’était bien commode de me montrer
comment apprécier le plaisir du mal; on remplit le trou fait par la vente de la
terre en y établissant un dépôt d’ordures couvert plus tard avec une légère
couche d’une autre terre »[16].
Il illustre ici le fait que la langue française, qui était prospère avant la
vente de la Louisiane aux États-Unis, est rapidement devenue une langue
oubliée, prête à être jetée aux ordures et que maintenant, les Franco-Louisianais
essaient tant bien que mal de ramener cette langue à sa prospérité d’autrefois
en enterrant la vilénie du passé. De surcroît, le titre du poème est très
révélateur quant à au dilemme identitaire linguistique, car il illustre la mort
définitive de la langue française à laquelle plusieurs Cadiens croient, mais il
signifie aussi le point de non-retour vers le passé et une vie meilleure dans
la lumière. Soulignant le moment présent et futur de la langue française, le
bout du tunnel indique donc le retour en force de la communauté cadienne et
leur plus grande affirmation de soi.
«Pensez avant d’agir, écrire avant d’écrire.»[17]C’est
ce que Jambon et Arceneaux ont fait dans leurs recueils de poèmes respectifs.
Ils ont agi en écrivant dans leur langue, et ce, malgré les doutes qu’il y a pu
avoir sur ce choix, car tous deux ont écrit leurs recueils de façon
expérimentale. Les premiers poèmes mis dans leurs recueils étaient simplement
une façon pour eux de constater leur aisance à écrire en français cadien, dans
leur langue.[18] Par conséquent, les deux auteurs ont plongé
dans leur passé pour explorer l’utilisation et la préservation de la langue
française chez les Cadiens. Ils font découvrir au lecteur que la langue française
est beaucoup plus présente aujourd’hui. À cet égard, Jambon présente surtout le
présent de l’usage de la langue cadienne, en passant par l’enseignement qui est
un élément clé de la conservation de cette langue. Arceneaux souligne plutôt le
dilemme identitaire linguistique d’hier à aujourd’hui. C’est ainsi que ces deux
auteurs prouvent que la langue cadienne est l’un des aspects les plus
importants dans l’affirmation de l’identité cadienne dans sa poésie.
L’humour
cadien : Ce cher Boudreaux[19]!
L’opinion des autres a toujours été
importante dans l’affirmation d’une identité. Or, les Cadiens ont été bombardés
de stéréotypes malsains et péjoratifs par plusieurs peuples, mais surtout par les
États-Unis. Plusieurs humoristes américains dépeignent les Cadiens comme des
êtres rustauds, ignorants et illettrés. Par exemple, Justin Wilson arrive dans
ses spectacles d’humour habillé en «chemise blanche, bretelles rouges, chapeau
de paille et cravate western»[20].
De plus, il utilise un patois cadien
exagéré en déformant chaque mot, devant un auditoire riant aux larmes. Ce genre
d’humour externe et basé sur l’ethnicité utilise des stéréotypes dégradants
pour souligner la supériorité de la personne qui l’utilise sur d’autres peuples.
En les tenant pour acquis, les Cadiens se sont appropriés ces stéréotypes et
les ont transformés en une identité cadienne endurcie. C’est ainsi que l’humour
ironique est apparu dans la communauté franco-louisianaise. Ils ont tourné la
situation en leur faveur et ont commencé à rire d’eux-mêmes. C’est ce qu’on
appelle un humour intériorisé et ethnique. Il «s’adresse aux membres du groupe
ethnique dont il reflète certaines réalités collectives»[21].
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Kirby Jambon |
Comme
ein bouffon au cirque qui te garoche ein pie,
comme
ein paillasse qui tchient ein éventail
cherche
d’la cervelle avec einne paille
dans
ein verre de terre, my oh my,
pie in the sky, pie in your eye, einne tarte à l’ail[25]
L’agencement des phrases et des mots
choisis crée une série de rimes amusantes qui égaient le lecteur et qui lui
montrent une façon particulière de jouer avec les mots. À la façon cadienne,
Jambon enrichit ses poèmes par l’utilisation de calembours. En somme, en
acceptant de rire de soi-même et de ne rien prendre trop au sérieux, les
Cadiens ont retrouvé le fondement de leur identité. Ils intègrent surtout leur
humour dans leur langage déjà coloré en utilisant des agencements de mots et de
phrases agrémentés d’humour cadien.
Parallèlement, Jean Arceneaux utilise,
avec une aisance palpable, l’ironie. Il présente ainsi ses réelles pensées sur
l’affirmation de l’identité cadienne par un humour plus insolite. Dans «Je suis
Cadien», Arceneaux explique pourquoi les gens ne devraient pas lire de la poésie cadienne :
Pourquoi
écrire?
Personne
va lire.
Tu
perds ton temps
À
cracher dans le vent.
La
poésie, c’est grand,
Pas
pour les enfants,
Ni
les illettrés,
Ni
le acculturés.
Ils
ont rien à dire
Et,
ça qui est pire,
Même
s’ils en avaient,
Il
faudrait le faire en anglais.[26]
Arceneaux décrit avec puissance que les
auteurs cadiens n’ont pas sujets valables et discutables, qu’ils devraient
écrire en anglais pour qu’ils se fassent lire et à ceci s’ajoute la
non-disponibilité de poésie cadienne. Ces antiphrases amènent parfaitement le
ton ironique placé dans le poème. Au contraire, les sujets en poésie cadienne
sont vastes, car ils prennent racine dans leur passé endurci par l’adversité.
Le but de la poésie cadienne est bien d’écrire dans la langue maternelle, soit
le français, et vise plutôt un vaste auditoire français. Puis, la poésie
cadienne est en pleine effervescence depuis plusieurs années. Jean Arceneaux
«écrit en réaction à [s]es expériences, à [s]on contexte»[27],
donc il réagit, avec un ton ironique, au débat actuel qui se passe en Louisiane
sur la littérature cadienne. De plus, la connotation péjorative des mots
«illettrés» et «acculturés» permet à Arceneaux de surprendre et de déstabiliser
le lecteur, car ses mots dénoncent des préjugés importants qui vont à
l’encontre de la personnalité des Cadiens. Celui-ci croit que la poésie
cadienne devient de plus en plus ambitieuse et ne vise plus que la population
cadienne. Elle s’est ouverte à l’Autre français et elle plaît beaucoup. La
tonalité ironique est donc utilisée dans La
suite du loup pour faire comprendre au lecteur que l’affirmation de l’identité
cadienne passe par l’engagement opiniâtre des auteurs cadiens dans leur poésie.
En somme, Jambon et Arceneaux utilisent
l’humour dans leurs recueils de poèmes pour souligner la forte affirmation identitaire
des Cadiens. Tous deux utilisent l’autodérision et surtout la tonalité ironique
dans leurs poèmes pour dénoncer les stéréotypes portés à l’égard des Cadiens et
à celle de leur littérature. Pourtant, en riant ironiquement d’eux-mêmes et de leur
poésie, ces deux auteurs créent une intimité et une fraternité au sein des
lecteurs. Leur humour fait grandir l’identité cadienne. De plus, ils se moquent
gentiment de leur propre communauté, comme l’humoriste cadienne Marion Marcotte.
La
religion catholique : Que la paix soit avec vous…et avec votre identité!
Roman catholic church Par Bianca Cadieux |
Ainsi, dans L’École Gombo de Kirby Jambon, la religion fait partie intégrante
de plusieurs poèmes, car elle a lentement, mais sûrement, construit l’identité
des Cadiens et les a fait s’accepter pour qui ils sont vraiment. Alors, il y a
beaucoup d’expressions ou de références à la religion dans le langage cadien,
comme les termes Dieu, God ou Lord qui sont fortement utilisés comme jurons dans cette langue
française. L’utilisation de ces mots ou expressions ecclésiastiques tels qu’à
la fin du poème «Allons z’enfants» : « Asteur c’est l’heure qu’on passe le
test: / Que la force soit avec vous. / Je vous aime beaucoup. / Bonne chance.»[29],
qui fait référence à l’envoi en mission du peuple par le curé[30],
souligne l’ancrage de la religion dans le langage et la vie des Cadiens. Elle
est si enracinée dans leur culture, qu’ils l’utilisent souvent dans leurs
écrits ou lors de conversations. De plus, Jambon fait souvent référence à Dieu
comme à un confident amical, par exemple dans le poème «1 Corinthiens
12» :
Mon
Dieu, des fois, je me sens une partie inférieure du corps.
Un
pied, fatigué, ignoré, qui apporte le poids du corps.
Une
fesse, paresseuse et grasse, incomplète sans sa copine.
Des
poils, aujourd’hui inutiles, vestiges d’une vie ancienne.
[…]
Jésus,
on dit, n’est pas trop délicat
Pour
prendre un pied en main
Et
s’assir à côté, en touchant
Un
cœur peureux et humain.[31]
«Le «je» individuel se transforme, dans
le contexte poétique, en un «nous» signifiant le nouveau peuple acadien»[32]
Ainsi, Jambon métaphorise dans cet extrait poétique le peuple cadien en parties
du corps. Jambon se réfère à la phrase «Voici mon corps livré pour vous», dite
lors de la communion. Le je écrit
dans le premier vers, présumé être la population cadienne, déclare qu’elle ne
ressent pas au fond d’elle-même la complétude de son identité. Elle se sent
comme le corps de Christ qui est délaissé pour mort, d’où la triple répétition
de l’expression anglaise «Body of Christ, Amen!»[33],
qui insiste sur cette pensée. Ainsi, lorsqu’à la fin du poème, celui-ci revient
comme sauveur, bien que la population cadienne n’est qu’humaine, Jambon souligne
la force de la religion pour cette population qui après tant d’épisodes
déplorables a réussi, par l’aide de la religion et de leur foi, à surmonter ces
épreuves, comme le fils de Dieu. En somme, lors d’une entrevue avec l’auteur,
celui-ci dit que la religion est pour plusieurs Cadiens, soit ceux qu’ils ne
parlent pas français, la seule façon de comprendre leur identité, car la
religion est la seule partie de leur vie qui les rattache à celle-ci. Il
discute aussi de son prochain recueil de poèmes, nommé Petite communion, qui aura une série ecclésiastique de 27 poèmes.
La religion est l’un des facteurs importants qui influencent son écriture et
son affirmation identitaire.[34]
Dans le même ordre d’idées, Jean
Arceneaux offre une vision plus subtile de la religion dans La suite du loup. Il souligne
l’importance de celle-ci dans l’affirmation identitaire des Cadiens dans la
forme de ses écrits. Par exemple, dans le poème « Je suis Cadien», Arceneaux
illustre la grandeur morale de la religion catholique par une forme du type
choral :
Enfants
du silence, crions ensemble.
On
comprend tous notre parenté commune.
Un
silence comme l’attente d’un chanteur avant son tour,
Un
silence comme deux amoureux qui découvrent une faiblesse,
Un
silence comme un enfant qui voit son père abaissé,
Un
silence comme un cri étouffé par le tremblement de la tristesse,
Un
silence comme le froid dans le creux de la honte,
Un
silence comme le grincement des dents de la peine,
Un
silence comme le feu dans les yeux de la rage,
Un
silence comme la mort en face avant son temps.[35]
En ayant la forme d’un chœur et
utilisant les enfants pour souligner une chorale cléricale, Arceneaux dévoile
l’affirmation identitaire cadienne dans un verset. La population cadienne est
représentée par l’« ensemble» et la « parenté commune» puis est décrite comme «
les enfants du silence» qui crient maintenant ensemble. L’oxymore entre les
termes « silence» et «criont» met en relief le réveil identitaire des Cadiens
qui passe par une forme plus religieuse. De surcroît, la suite de comparaisons
sur le silence illustre l’accumulation des épreuves endurées par ce peuple.
Néanmoins, la chorale formée dans cet extrait rappelle au lecteur la dimension
importante de la religion au sein de la communauté cadienne et fait percevoir
au lecteur leur cri d’espoir par le chant. Sans compter que la gradation dans
cette suite comparative crée un effet dramatique, qui précise l’espérance de se
faire entendre et l’affirmation de leur identité religieuse, donc cadienne.
Cette même idée se forme dans le poème «Ailes de bébé» qui présente les Cadiens
comme des nouveau-nés : « Dieu devrait laisser les ailes aux bébés un peu
plus longtemps. Ce qu’ils manquent plus que tout de leur ancienne vie, c’est
voler. Quand ils sont encore au berceau, ils font aller leurs bras comme des
restants d’ailes.»[36]
Revenant dans le passé, Arceneaux illustre par une métaphore juste que le
peuple cadien a été privé de ses droits, autant linguistiques que religieux pendant
plusieurs décennies. Toutefois, ils regagnent peu à peu leurs ailes et
s’affirment de plus en plus. Jean Arceneaux fait découvrir au lecteur dans ce
poème que la foi des Cadiens est infaillible, car dans « leur ancienne vie»,
avant que les Anglais ne leurs coupent leurs ailes, ils étaient libres d’être
eux-mêmes, soit d’être de parler français et d’être catholiques. Or, lorsqu’ils
arrivèrent en Louisiane, ils se firent rabaisser et juger en raison de ces
caractéristiques propres à ce peuple. Donc ils voulaient retrouver leur liberté
d’autrefois et ils ont réussi, car aujourd’hui cette population est fière et
s’affirme de plus en plus dans leur identité cadienne.
Comparée à l’utilisation de la langue
française et de l’humour, la religion prend des directions différentes pour les
deux auteurs. Kirby Jambon illustre l’importance de celle-ci par le
franc-parler des Cadiens et les appels à Dieu, autant en français qu’en anglais :
« Pourquoi je les ai faits, tous mes péchés? All my trials, Lord, soon be
over.»[37]
Tandis que Jean Arceneaux souligne l’identité religieuse des Cadiens en passant
par leur passé atterrant, comme dans «Je suis Cadien» : « Le prophète
tourne en rond, / Perdu dans une idée sans fond. / Il passe son temps à
contempler / Le temps passé et à lamenter»[38]
Le prophète, désignant la ferveur catholique des Cadiens, regarde souvent dans
son passé pour comprendre le moment présent et le futur de ceux-ci. C’est ce
qu’Arceneaux fait dans ces poèmes lorsqu’il révèle subtilement l’importance de
la religion dans l’affirmation identitaire des Cadiens. Pour sûr, les deux
auteurs ont passé par des voies différentes pour présenter l’une des caractéristiques
essentielles de l’identité cadienne, mais ils ont tous deux réussi à intégrer et
à montrer la véritable valeur de cet aspect dans leurs poèmes.
Sources
identitaires : Les auteurs…à quoi ont-ils pensé?
Plusieurs facteurs non formels de la
poésie cadienne soulignent l’affirmation de l’identité, telle que l’exil des
auteurs pour mieux comprendre leurs origines. Dans le passé, les auteurs
cadiens visitaient la France, la Terre-Mère, pour apprendre d’où venait leur
langue. Ces auteurs se rendaient rapidement compte qu’ils préféraient de loin
leur version de la langue française qui est beaucoup plus colorée que celle du
français international. Ils réalisaient enfin la vigueur et l’explosion des
saveurs culturelles de leur langue cadienne[39].
C’est ce qui les a, par la suite, inspirés dans leurs écrits, comme Jambon et
Arceneaux. Ce dernier est allé en France et a vécu le même éclaircissement
alors que Jambon s’est plutôt exilé de façon spirituelle, soit en restant en
Lousiane, mais en prenant du recul sur sa vie. Tous deux ont fait cet exil pour
ensuite prendre conscience de l’importance de la langue de Molière dans leur
vie et leurs écrits.
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Jean Arceneaux |
Conclusion :
Une régénérescence identitaire…ou pas?
Pour tout dire, l’affirmation de
l’identité cadienne dans L’École Gombo
de Kirby Jambon et La suite du loup
de Jean Arceneaux passe au travers de plusieurs caractéristiques culturelles et
formelles. L’utilisation et la préservation de la langue française sont la clé
de l’identité cadienne. Employée par ces deux auteurs, l’intégration du
français dans leur écriture prouve que leur variation de cette langue est
précieuse et qu’elle reflète une part importante de la société cadienne. Puis,
la forme drolatique et la forte utilisation de la tonalité ironique illustrent
un humour très cadien. De ce fait, l’intégration de cet humour coloré « traduit
bien la «joie de vivre» et l’enthousiasme communicatifs qu’éprouvent le Cadien
et la Cadienne, lorsqu’ils se sentent enfin à l’aise, épanouis dans leur espace
physique et culturel.»[41]
Enfin, la ferveur catholique influence grandement leurs écrits, car la religion
est pour plusieurs l’une des seules façons de se reconnaître comme Cadien.
Jambon et Arceneaux vont dans le même sens, idéologiquement parlant. Ils
représentent différents critères des caractéristiques de l’affirmation
identitaire des Cadiens, puisque Jambon écrit surtout sur le présent alors
qu’Arceneaux fouille beaucoup dans le passé. Néanmoins, les deux auteurs en
viennent toujours aux mêmes conclusions, soit que les Cadiens s’affirment de
plus en plus en tant qu’identité distincte. De surcroît, l’exil des auteurs et
l’utilisation de noms de plume impliquent la recherche identitaire et ainsi,
son affirmation.
Par contre, «il nous est permis de
douter»[42],
écrit Mélanie Tardif dans Francophonies
d’Amérique. Malgré l’abondance de critères jouant en faveur d’une identité
cadienne plus vaste, le rapport à l’Autre reste toujours insuffisant. Elle
commence tranquillement à prendre de l’expansion, mais n’entreprend pas une
vision plus grande. De plus, le fossé linguistique des générations est
considérable. La langue française commence elle aussi à connaître une lente
progression dans la population louisianaise, mais arrivera-t-elle à dépasser ce
fossé intergénérationnel? Ainsi, la question s’impose : est-ce que cette
régénérescence identitaire cadienne deviendra permanente ou ne sera-t-elle que
passagère et retombera en poussières?
Je remercie...
L'OQAJ pour son soutien financier dans mon projet,
Kirby Jambon et Barry Jean Ancelet pour le temps qu'ils m'ont si généreusement accordé,
Guillaume Lallier pour son soutien et
Catherine Fournier et Thalie Goulisty-Leblanc pour leur collaboration et amitié.
Je remercie...
L'OQAJ pour son soutien financier dans mon projet,
Kirby Jambon et Barry Jean Ancelet pour le temps qu'ils m'ont si généreusement accordé,
Guillaume Lallier pour son soutien et
Catherine Fournier et Thalie Goulisty-Leblanc pour leur collaboration et amitié.
[1] M. Bergeron-Maguire, La «conscience diasporale» en poésie
cadienne, p. 8.
[2] Ibid., p. 9.
[3] Il est un chevalier dans l’Ordre
des Arts et des Lettres de la République française.
[4] Festival international de
poésie, Poètes internationaux, [en
ligne], (consulté le 14 mars 2012).
[5] 50 states, Statehood dates, [en ligne], (consulté le 26 mars 2012).
[6] Wikipédia, Louisiane, [en ligne], (consulté le 15 mars 2012).
[7] É. DesMarais cité par B.
Beaulieu dans Affirmation de l’identité
dans la littérature cadienne, p.146.
[8] M. Tardif, La poésie franco-louisianaise contemporaine, p. 169.
[9] Ibid., p. 173.
[10] K. Jambon, L’École Gombo, p. 137-139.
[11] Ibid., p. 15-16.
[13] M. Tardif, La poésie franco-louisianaise contemporaine, p. 170.
[14] M. Jean Arceneaux, dans une entrevue effectuée par Bianca
Cadieux, Lousiane, 17 février 2012.
[15] J. Arceneaux, La suite du loup, p. 97.
[16] Ibid., p. 59.
[17] K. Jambon, L’École Gombo, p. 119.
[18] M. Jean Arcenaux, M. Kirby
Jambon, dans une entrevue effectuée par Bianca Cadieux, Louisiane, 17 et 19
février 2012.
[19] Faisant référence aux célèbres
blagues cadiennes, incluant Boudreaux, ce personnage farfelu, d’origine
cadienne.
[20] A. D. Barry, Ethnicité et humour : Les Cadiens
louisianais, p.186.
[21] Ibid., p. 183.
[22] M. Kirby Jambon, dans une entrevue effectuée par Bianca
Cadieux, Lousiane, 19 février 2012.
[23] K. Jambon, L’École Gombo, p. 71.
[24] A. D. Barry, Ethnicité et humour : les Cadiens
louisianais, p. 189.
[25] K. Jambon, L’École Gombo, p. 84.
[26] J. Arceneaux, La suite du loup, p. 102-103.
[27] M. Jean Arceneaux, dans une entrevue effectuée par Bianca
Cadieux, Lousiane, 17 février 2012.
[28]
M. Kirby Jambon, dans une entrevue effectuée par Bianca
Cadieux, Lousiane, 19 février 2012.
[29] Ibid., p. 17.
[30]
Wikipédia, Messe, [en ligne], (consulté le 28 mai 2012).
[31] K. Jambon, L’École Gombo, p. 101-102.
[32] B. Beaulieu, Affirmation de l’identité dans la
littérature cadienne, p. 146.
[33] Ibid., p. 101.
[34] M. Kirby Jambon, dans une entrevue effectuée par Bianca
Cadieux, Lousiane, 19 février 2012.
[35] J. Arceneaux, La suite du loup, p. 99.
[38] Ibid., p. 100.
[39]
S. Hoarau, «SECONDE PARTIE. Les mouvements de l’exil : errances et
constructions de réseaux d’échanges», Écritures
de l’exil, exil des écritures.
[40] M. Jean Arceneaux, dans une entrevue effectuée par Bianca
Cadieux, Lousiane, 17 février 2012.
[41] B. Beaulieu, Affirmation de l’identité dans la
littérature cadienne, p. 148.
[42] M. Tardif, La poésie franco-louisianaise contemporaine, p. 180.
Médiagraphie
SITES INTERNET
50
States, Statehood dates, [en ligne],
[http://www.50states.com/statehood.htm],
(consulté le 26 mars 2012).
Festival
International de poésie, Poètes
internationaux, [en ligne], [http://fiptr.com/poete_bio.html],
(consulté le 8 janvier 2012).
Wikipédia,
Barry Jean Ancelet, [en ligne], [http://en.wikipedia.org/wiki/Barry_Jean_Ancelet],
(consulté le 14 mars 2012).
Wikipédia,
Louisiane, [en ligne], [http://fr.wikipedia.org/wiki/Louisiane],
(consulté le 15 mars 2012).
Wikipédia,
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Kirby, L’École Gombo, Shreveport, Les
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Groupe Beauchemin, 2007, 144 pages.
VIDÉOS
Cadieux,
Bianca, Rencontre avec Jean Arceneaux,
Louisiane, 37 : 21 minutes, 15 au 25 février 2012.
Cadieux,
Bianca, Rencontre avec Kirby Jambon,
Louisiane, 37 : 55 minutes, 15 au 25 février 2012.